Selon la Cour de cassation, le préjudice d’agrément s’entend traditionnellement comme "le préjudice visant à réparer l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs." Cette définition retenue par les juges est classique en ce qu’elle est conforme à la définition posée par la nomenclature Dintilhac.
Les juges appliquaient strictement cette définition et la victime devait inévitablement, si elle souhaitait obtenir une indemnisation pour ce chef de préjudice, rapporter la preuve :
· D’une pratique antérieure d’une activité sportive ou de loisirs ;
· Que cette activité soit spécifique (exclusion des activités sporadiques et/ou ménagères);
· Et que l’atteinte à son intégrité corporelle entraîne une impossibilité totale de pratiquer une telle activité dans le futur.
Notons qu’à l’opposé de certains postes de préjudice extrapatrimoniaux, le préjudice d’agrément n’est pas côté selon une échelle allant de 1 à 7.
L’expert doit qualifier ce préjudice (faible, important, exceptionnel…) et procéder à une description in concreto du dommage au sein de son rapport, permettant ainsi une mise en relation entre la pratique antérieure alléguée et l’atteinte corporelle imputable au fait générateur. Par exemple, une atteinte à la fonction de préhension permettra de retenir un préjudice d’agrément si la victime pratiquait la broderie ou jouait régulièrement au tarot.
Une limitation de la pratique antérieure suffit à caractériser un préjudice d’agrément
Par un arrêt rendu le 29 mars 2018, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a semblé infléchir sa position quant à la caractérisation de l’impossibilité de retrouver la pratique antérieure.
En l’espèce, la victime pratiquait, en compétition, un grand nombre d’activités nautiques. Victime d’une infraction pénale, les atteintes corporelles subies par la victime avaient stoppé celle-ci dans sa progression sportive et sa poursuite des compétitions. En effet, son état physique ne permettait plus une activité sportive intensive. La Cour d’appel de Fort-de-France attribua en conséquence à la victime la somme de 1.000 euros au titre de ce poste de préjudice. Le régleur de l’indemnité s’est pourvu en cassation.
La Cour de cassation confirma la position de la Cour d’appel au moyen d’une motivation des plus explicites : « le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ; que ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure ».
Cette motivation catégorique laisse à penser qu’elle ne se limite pas aux seuls compétiteurs mais peut être appliquée à toutes les victimes rapportant la preuve d’une pratique antérieure d’une activité spécifique sportive ou de loisirs. Un tel infléchissement de la position des juges sur la notion de préjudice d’agrément avait déjà pu se faire sentir quelques années auparavant au niveau des juges d’appels qui, à l’époque, entraient en contradiction avec la jurisprudence alors constante de la Cour de cassation.
L’incapacité psychologique de pratiquer de la même manière l’activité sportive ou de loisir antérieurement exercée constitue également un préjudice d’agrément.
Par un second arrêt rendu le 5 juillet 2018, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a entériné sa jurisprudence nouvelle en l’étendant à l’incapacité psychologique pour la victime de retrouver sa pratique antérieure.
En l’espèce, la victime s’était blessée lors d’une séance d’essai à moto sur un circuit fermé. L’expert judiciaire avait relevé qu’il n’existait pas d’inaptitude fonctionnelle à la pratique des activités de loisirs auxquelles se livrait antérieurement la victime.
Constatant toutefois qu’elle n’avait pas pu reprendre la pratique de la moto dans les conditions exercées avant l’accident, la Cour d’appel de Poitiers alloua à la victime la somme de 1.500 euros au titre du préjudice d’agrément. L’assureur porta l’affaire en cassation sur plusieurs points, et notamment la problématique du préjudice d’agrément.
La Cour de cassation confirma la position de la Cour d’appel sur ce poste en particulier selon la motivation suivante : « Mais attendu qu’ayant souverainement constaté que même si l’expert judiciaire avait relevé qu’il n’existait pas d’inaptitude fonctionnelle à la pratique des activités de loisirs auxquelles Mme Y... se livrait avant l’accident, cette dernière n’avait cependant pas repris celle de la moto compte tenu de son état psychologique à la suite de l’accident, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement cette activité sportive ou de loisirs, a décidé à bon droit de l’indemniser de ce préjudice ».
Cette motivation entérine l’arrêt précédemment cité en ce que la Cour de cassation accepte à nouveau d’indemniser la limitation à la pratique antérieure – malgré une formulation maladroite – et non la seule impossibilité d’exercice. Mais surtout, elle met sur le même plan incapacité fonctionnelle et psychologique en ce qui concerne l’impact sur la pratique d’une activité d’agrément.
Cette décision se retrouve dès lors en cohérence avec la jurisprudence selon laquelle le dommage psychique est bien un dommage corporel, tout comme le dommage purement physique.
Ce double infléchissement voulu par la Cour de cassation devrait amener à une modification des missions d’expertise en ce qui concerne le préjudice d’agrément pour désormais prendre en compte le champ nouveau de réparation de ce préjudice.
Actualité parue sur le site de Me Vanessa ROMEI - /www.avocat-romei.com